Interview réalisé par Sandra Friedrich - Journaliste Québecoise et coach certifiée orientée vers le mieux être de la relation homme-animal, avec Fabienne Lannes-Gillibert.
En 2010, Fabienne Lannes-Gillibert, Praticienne EMDR et Superviseuse EMDR certifiée Europe formée par David Servan-Schreiber, s’est penchée sur l’idée de pouvoir pratiquer l'EMDR aussi auprès des animaux mammifères et a conceptualisé un protocole EMDR spécifique pour les animaux (chien, cheval…), pour les soulager des troubles émotionnels tels que : phobies, irritabilité, inhibition, peur exagérée, agressivité.
Voici le fruit des échanges entre Sandra et Fabienne.
Sandra: De quoi parle-t-on avec l’approche EMDR avec les animaux?
Fabienne Lannes-Gillibert pour emanasso.com:
Tout d’abord, je tiens à vous remercier de l’intérêt que vous portez à l’approche EMDR pour animaux.
Car mon intention avec cette approche de soin est de soulager les animaux qui attendent de trouver un maître, dans les SPA, dans les refuges, et dont les comportements perturbés freinent leur adoption.
Nous sommes ici dans le champ de la neuroscience. Dans un processus naturel de guérison émotionnelle. Il ne s’agit pas d’une invention, mais d’une découverte d’un phénomène qui se produit lorsque nous rêvons : de « retraitement des informations » vécues. Nous devons cette découverte, dans le monde humain, à Francine Shapiro en 1987. C’est une approche qui agit directement sur le cerveau limbique.
Pour ma part, c’est en 2010, en observant le comportement de peur de mon chien, en ouvrant le tuyau d’arrosage dans le jardin, que j’ai eu l’idée d’adapter l’EMDR pour les animaux et d’en développer des protocoles spécifiques.
Tous les mammifères possèdent un cerveau limbique et c’est là le point de départ de la conceptualisation des protocoles EMDR pour animaux.
Sandra:
La thérapie EMDR est une approche de psychothérapie qui utilise la stimulation sensorielle des deux côtés du corps, soit par le mouvement des yeux soit par des stimuli auditifs ou cutanés, pour induire une résolution rapide des symptômes liés à des événements du passé.
Fabienne :
Il ne s’agit pas, comme vous le dites « d’induire une résolution rapide des symptômes », car nous ne travaillons pas sur les symptômes. Mais à partir des symptômes, nous traitons les éléments phobogènes qui produisent les réactions, les comportements, les symptômes de peur.
Sandra:
Les animaux sont-ils conscients des traumas reliés à des évènements de leur passé?
Fabienne :
Je ne suis pas sure qu’un chien puisse se dire : « j’ai peur de la bicyclette car un jour une grosse roue de brouette m’a écrasé la queue». De même, la personne qui, aujourd’hui, a peur de la foule, n’a pas forcément conscience que l’évènement passé d’origine, est qu’elle se soit perdue dans un magasin étant enfant.
Le travail en EMDR est une approche au coeur des neurosciences qui va agir directement dans les réseaux de mémoires sensorielles.
C’est-à-dire que lors du traitement, il se produit des connections inter-neuronales qui vont activer les canaux associatifs dans le réseau mnésiques dysfonctionnel et le traitement se déroule grâce à ce que nous appelons le TAI, le Traitement Adaptatif de l’Information, pour accéder au réseau mnésique fonctionnel. Ce qui produit un profond changement de la perception de la situation.
Distinction entre le trauma et l’élément déclencheur
Fabienne Lannes-Gillibert pour emanasso.com:
Il y a trauma et il y a déclencheur actuel. Lors d’un trauma, c’est-à-dire lorsque l’individu vit une situation terrifiante, toutes les informations, tous les éléments sensoriels (auditifs, visuels, olfactifs…) contenus dans cette situation, vont se figer ensemble. Ensuite, et ce peut être des années après, peu importe le temps d’ailleurs, il suffit qu’apparaisse un seul de ces éléments, ou quelque chose qui lui ressemble et ce sera tout le réseau de mnésique qui sera réactivé: c’est le réseau mnésique dysfonctionnel.
Autrement dit, un mammifère peut développer ainsi la phobie d’un objet qui roule, si dans le trauma il y avait un objet analogue (une bicyclette par exemple). Peut être même que le simple bruit d’une roulette pourra réactiver toute la situation traumatogène, avec la même terreur que celle vécu lors du trauma. L’individu ressentira alors des émotions et aura des comportements d’apparence inadaptés en rapport à la situation présente, mais qui, pour lui, seront bien fondés.
Et il est important de savoir que cette notion de trauma est plus large encore. Elle ne se limite pas seulement aux situations vécues par l’animal lui-même : il suffit que le mammifère soit témoin d’un drame vécu par un congénère pour qu’il ressente dans tout son corps les sensations comme s’il l’avait lui-même vécu. C’est ce que les chercheurs nomment : les neurones miroirs, que possèdent tous les mammifères.
En EMDR animal, nous ne travaillons pas avec la conscience des évènements passés, mais avec les mémoires sensorielles liées à cet évènement.
Sandra:
Quels sont les prérequis pour bâtir cette approche EMDR animal: les animaux ont des émotions, ils ont des souvenirs… Quoi d’autres? c‘est pas un peu anthropomorphique?
Fabienne:
Vous voulez dire, n’est ce pas anthropomorphique de proposer l’approche EMDR aux autres mammifères que l’homme?
C’est pourtant bien ce que fait la science depuis des siècles, sans que personne ne s’en étonne! L’animal a toujours été utilisé en laboratoire, pour des expériences biologiques, somatiques, comportementales, donc, émotionnelles. Puis, les résultats de ces expériences ont ensuite été appliqués à l’homme.
C’était d’ailleurs le but : pouvoir mieux soigner l’homme à partir des expériences animales. N’était ce pas attester de la similitude entre l’homme et l’animal sur le plan de sa constitution et de ses comportements? Personne n’a jamais qualifié cela de zoo-morphisme.
Aujourd’hui, en adaptant l’EMDR aux mammifères animaux, nous faisons l’inverse de ce qui s’est toujours passé : nous partons des résultats positifs de cette approche obtenus avec les humains, pour l’appliquer au monde animalier.
Et nous pouvons le faire, car l’EMDR agit sur le cerveau émotionnel. Tous les mammifères ont un cerveau émotionnel, c’est là le prérequis.
Sandra:
Sur quelles études scientifiques sur les animaux basez-vous votre pratique?
Fabienne:
Qu’est ce qu’une étude scientifique? Les études scientifiques partent toujours d’une observation ou bien d’une idée, d’une hypothèse, que l’on cherchera à valider, à confirmer par expérimentation.
Le point de départ de l’EMDR c’est l’observation faite par Francine Shapiro en 1987, sur elle-même, d’un phénomène de soulagement émotionnel produit par des mouvements bilatéraux alternés. Ce n’est que bien plus tard que les chercheurs ont confirmé, par l’expérimentation, par reconduction du phénomène, la réalité de sa découverte.
Il aura fallu 17 ans, pour que l’HAS (Haute Autorité de la Santé), en 2004, reconnaisse l’EMDR comme étant particulièrement efficace et rapide dans le traitement des états de stress post-traumatique. L’OMS validera l’EMDR en 2012, 25 ans après.
Heureusement que les praticiens en EMDR n’ont pas attendu 25 ans, la reconnaissance, pour traiter des centaines et des milliers de personnes souffrant d’ESPT (état de stress post-traumatique), comme les vétérans du Vietnam par exemple.
Avec les animaux, c’est le même chemin à suivre. Depuis des années, nous traitons des chevaux, des chiens…
1)Un chien qui ne pouvait pas monter dans l’ascenseur, au grand damne de sa maitresse qui habite au 7° étage, peut maintenant le faire, après un traitement en EMDR, sans aucun problème. Ce qui change la vie de sa maitresse.
2) Un cheval qui bloquait au passage des sauts d’obstacles, étonne maintenant tout le haras en sautant allègrement
tout obstacle.
3) Ce chien qui ne pouvait pas se laisser soigner les oreilles, attend maintenant patiemment que sa maitresse ait fini le traitement auriculaire. Etc…
Notre travail a commencé en 2010. Les chercheurs de l'INSERM de Bordeaux ont validé l’efficacité de l’EMDR dans le déconditionnement de la peur chez les petits mammifères rongeurs.
Sandra:
Y-a-t-il des recherches en cours pour voir l’efficacité de cette approche?
Fabienne:
Oui, dans l’institut EMANASSO, institut dont je suis co-fondatrice avec Mme Bordat, directrice, nous avons créé le GREA, Groupe de Recherche pour le traitement EMDR avec les Animaux. Car nous avons observé que l’approche EMDR va encore plus loin que l’apaisement du stress, de la peur et des phobies chez l’animal : nous observons des modifications somatiques étonnantes et je crois que nous n’en sommes qu’au début. Le poil devient brillant, la tonicité devient meilleure, l’eczéma se réduit….ce que nous observons chez les humains au niveau des troubles somatiques serait donc possible aussi chez l’animal?
Ceci nous pousse toujours plus loin dans la recherche.
Les chercheurs scientifique de l'INSERM de Bordeaux ont validé le modèle animal de l'EMDR.
Sandra: (L’EMDR est une technique qui permet une libération « en douceur » des tensions « incrustées » et permet à la guérison de s’exprimer durablement. Cette approche semble obtenir des résultats spectaculaires sur l’apaisement de la peur, de l’agressivité, des phobies, des inhibitions chez l’animal).
Les éducateurs canins savent bien diminuer les réactions de peur chez le chien. Alors dans quels cas adresser l’animal chez un éducateur ou chez un Praticien animalier en EMDR?
Fabienne Lannes-Gillibert:
En aucun cas les Praticiens animaliers en EMDR ne peuvent remplacer le travail d’un éducateur animalier, ni tout autre métier animalier. En EMDR animal, nous ne travaillons pas sur l’éducation. En revanche, je connais de très bons éducateurs canins, en France, en Suisse et en Belgique qui eux aussi peuvent soulager l’animal de comportements perturbants, de réaction excessive dans certaines situations.
Ils sont pourtant venus se former en EMDR animal, car, comme me l’a dit un vétérinaire de Suisse :
« l’EMDR animal, c’est le maillon manquant ».
Comprenons pourquoi.
Lors d’un traumatisme, je vous l’ai dit, la douleur reste imprimée au niveau de l’amygdale, le centre de la peur.
Mais une autre structure limbique est également touchée par le trauma, c’est l’hippocampe. Quelle est le rôle de l’hippocampe? C’est la navigation spatiale et, ce qui nous intéresse ici, les fonctions d’apprentissage.
Les recherches scientifiques ont montré que chez un individu traumatisé, l’hippocampe voit sa taille réduite par le choc émotionnel. Puis, après un traitement en EMDR, cet hippocampe reprend sa taille normale.
A partir d’un stress, d’une peur intense, tous les mammifères développent une symptomatologie analogue : des conduites d’évitement (réaction de fuite), une hypervigilance (sursaut, forte réactivité à un stimulus), une hyperactivation du système neurovégétatif (sudation, mydriase, perturbation du système digestif…cela, surtout chez le cheval d’ailleurs).
En EMDR animal, nous travaillons sur l’extinction des peurs acquises qui entrainent des comportements et manifestations végétatives perturbants.
Il est très important de discerner les champs d’application des différents professionnels du monde animalier.
Nous adressons souvent des animaux chez un comportementaliste ou un éducateur canin/équestre, ou chez un vétérinaire s’il n’y a pas eu de consultation préalable.
Sandra: Quelles pourraient être les contre-indications chez l’animal?
Fabienne :
L’approche EMDR animal est une approche par exposition à l’élément phobogène. Nous ne sommes pas dans une approche d’immersion. Et je dis bien, exposition à l’élément phobogène et non à toute la situation traumatisante.
Le traitement EMDR est basé sur la stimulation, la remise en route, d’un processus naturel de « Traitement Adaptatif des Informations » reçues, vécues dans la situation traumatique. Les protocoles EMDR pour animaux permettent l’activation de ce TAI accompagnée d’un effet cholinergique produit par les mouvements bilatéraux.
Donc, si le stress apparait lors du traitement, il est dissout par l’action sur l’amygdale, le centre limbique de la peur, et ainsi une nouvelle perception de la situation apparait, une perception douce et tranquille.
Cette exposition se fera en respectant une durée précise à ne pas dépasser.
Cependant, une grande vigilance et une grande compétence de la part du Praticien Animalier en EMDR est de mise. Car dans cas d’un animal hautement traumatisé, ou avec des traumas multiples, ou avec une faible capacité d’autogestion émotionnelle ou bien encore dans le cas d’un syndrome de privation, des réactions de paniques ou un état de mal-être diffus, voire aïgu, pourraient être réactivés.
C’est pourquoi la formation à cette approche est fondamentale. Rappelons-le, l’EMDR animal n’est pas une technique à appliquer comme une recette. Deuxième point fondamental, c’est l’importance de ce que nous appelons la fenêtre de tolérance. C’est-à-dire la zone de confort que nous devons créer, dans laquelle l’animal va pouvoir accepter le traitement en toute sécurité et en toute tranquillité pour lui et pour que le travail puisse se dérouler.
L’approche EMDR pour animaux réactive, stimule ce système naturel de soulagement des émotions. À condition toutefois, d’avoir acquis un vrai « savoir faire ». C'est là l'objet de la formation de Praticien Animalier en EMDR.
Pour toutes infos, veuillez contacter
www.emanasso.com
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